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24 juin 2014 2 24 /06 /juin /2014 08:31

Lettre ouverte au chef du gouvernement marocain

Monsieur le chef du gouvernement
Vous n’avez pas de leçons à nous donner

Monsieur le chef du gouvernement,
Vous avez tenu le Mardi 17 juin 2014 à la Chambre des Conseillers, des propos faisant l’apologie du retour des femmes aux foyers, les avait soumis, en tant que femmes actives, au jugement au nom d’une vérité divine dont vous vous proclamez le défenseur. Pis, vous les avez chosifiées en les comparant à des lustres. 
En tant que femme qui se veut citoyenne marocaine à part entière, bien que fort consciente que la citoyenneté demeure encore une aspiration pour les marocain.e.s acculé.e.s à être des sujets, je ne puis que répondre à cette agression verbale touchant au plus haut niveau l’être ontologique et social de millions de femmes marocaines.
Monsieur Le chef du gouvernement,
Par votre discours, et faisant fi de votre fonction de chef de gouvernement marocain, vous vous opposez à l’égalité entre femmes et hommes et vous contredisez le contenu clair de l’article 19 de la constitution marocaine. Vous bafouez les conventions internationales ratifiées par le Maroc, y compris la CEDAW appelant à l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et en particulier l’article n°11 qui considère le droit au travail comme « droit inaliénable de tous les êtres humains » et invite à «encourager la fourniture des services sociaux d'appui nécessaires pour permettre aux parents de combiner les obligations familiales avec les responsabilités professionnelles et la participation à la vie publique, en particulier en favorisant l’établissement et le développement d'un réseau de garderies d'enfants », vous bafouez également l’article 7 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels : « Un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale sans distinction aucune; en particulier, les femmes doivent avoir la garantie que les conditions de travail qui leur sont accordées ne sont pas inférieures à celles dont bénéficient les hommes et recevoir la même rémunération qu'eux pour un même travail » ; En insistant sur l’égalité des rémunérations et des conditions de travail entre femmes et hommes, cet article considère le droit au travail comme un acquis incessible des deux sexes. Etant chef de gouvernement et non pas uniquement chef de parti politique, vous êtes tenu de respecter les engagements internationaux de l’état marocain. Un système politique démocratique, dois-je le rappeler, vous aurez astreint à plus de retenue au nom du principe de la redevabilité en rapport avec celui de la responsabilité que vous exercez. 
Monsieur le chef du gouvernement,
Votre discours vous décrédibilise, dé-voile votre incohérence due à une volonté de dissimuler votre véritable perception de la société Votre parti a présenté, en 2001, un mémorandum à la commission consultative chargée de la révision du Code du Statut Personnel avec une liste de doléances dont un principe appelle au respect de « l’indépendance économique et financière » de chacun des deux partenaires. Vous bafouez en appelant les femmes à rejoindre les foyers ce principe. Y avez-vous cédé pour avoir pris en considération le nombre affriolant des femmes actives, qui en perte de repère politique convaincant, sont susceptibles de voter pour votre parti ? Je ne saurai sous-estimer ce facteur déterminant dans votre perception de la chose publique, de l’échiquier politique. Vos propos trahissent votre perception des femmes : un réservoir de voix pour les élections. Votre parti qui peut se prévaloir de seize femmes parlementaires devrait donner l’exemple en les conviant à rejoindre leurs foyers au lieu de continuer à servir un discours discriminatoire et un projet de société aspirant à paralyser la moitié de la société.
Monsieur le chef du gouvernement,
Vous n’avez pas de leçon à nous donner, à donner à ces millions de femmes marocaines qui bénéficiant d’une vie active, prennent soin de leurs enfants et leur assurent un équilibre psychique et affectif à même d’affronter les complications de la vie. Vous n’avez pas l’apanage de la défense de la famille comme valeur humaine universelle. Le pacte international relatif aux droits civils et politiques qui date du 16 décembre 1966 (c-a-d avant la création de votre parti) dont l’article 23 stipule que « 1. La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’Etat….4. Les Etats parties au présent Pacte prendront les mesures appropriées pour assurer l’égalité de droits et de responsabilités des époux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. En cas de dissolution, des dispositions seront prises afin d’assurer aux enfants la protection nécessaire » a d’ores et déjà valorisé la famille comme entité privilégiée pour la construction d’une société. Veuillez descendre de votre piédestal. Vous n’êtes pas détenteur de vérité absolue. Toutefois, le pacte a mis en exergue le principe d’égalité au sein de la famille et non pas celui, biologique, de complémentarité que vous prisez tant et auquel vous aimeriez tant nous voir réduites. Il n’oublie pas pour autant les enfants que votre politique gouvernementale néglige. Il appelle à leur garantir la protection nécessaire en cas de dissolution du mariage et non pas uniquement de divorce. Oui, Monsieur le chef du gouvernement, les femmes au foyer exercent un travail à plein temps, pensez, donc, à les rémunérer pour ce travail dur et interminable.
Nous croyons à la valeur de la famille, mais nous refusons de fondre dans une quelconque entité, nous sommes des êtres humains à part entière, nous existons par et pour nous-mêmes que nous soyons mariées, divorcées ou célibataires. Par ailleurs, une lecture des rudiments de la psychanalyse vous apprendra qu’une présence trop envahissante de la mère, du corps de la mère dans la vie de l’enfant génère « une séduction maternelle négative » qui empêche l’épanouissement de l’enfant, son autonomie et sa maturité. J’ai oublié peut-être que votre culture aliénée à l’Orient vous empêche d’être sensible à la culture marocaine dont le célèbre mythe d’Ounamir qui a la mérite de nous fournir une représentation du lien maternel conduisant au meurtre du fils. Ce lien que les femmes entretiennent pour se venger d’une société qui ne leur concède une pleine reconnaissance que si elles deviennent mères d’un garçon . Nos enfants, Monsieur le chef du gouvernement ont besoin de structures à même de les accueillir dans des conditions favorables à leur plein épanouissement. 
Monsieur le chef du gouvernement,
Par votre discours, vous prouvez que vous êtes coupés de la réalité de votre pays, où les femmes rurales en particulier n’ont jamais été des femmes au foyer, s’échinant dans le travail agricole, pastoral et autre quand elles ne sont pas engagées comme employées de maison. La femme marocaine a toujours été une femme active. Le haut commissariat au plan, un organisme étatique révèle dans son rapport « Prospective Maroc 2030 » que La proportion des femmes qui dirigent un ménage atteint dans les villes 22,5% et au milieu rural : 10,3% (et ce pourcentage peut-être expliqué par le fait que leur travail champêtre et autre n’est pas reconnu). Quelle solution prévoyez-vous pour ces familles qui dépendent du revenu des femmes ? Ce n’est sûrement pas par une approche volontariste que l’on peut changer la réalité d’une société. Cette réalité qui, parlons-en, est plus évoluée que votre mentalité. Vos insinuations ne peuvent manquer de nous rappeler les déclaration d’un certain Abassi Madani qui proposait le retour des 7% des femmes algériennes actives au foyers pour éradiquer le chômage. Ne faudrait-il pas plutôt conjuguer les efforts pour lutter contre la mortalité des femmes enceintes, la mortalité infantile, le viol des enfants et leur travail à bas âge, pour sortir de larges couches de notre société y compris les femmes de la précarité et l'exclusion dont votre politique de marché ne fera qu’aggraver la situation ? N’avez-vous pas œuvré pour plus de dégradation du pouvoir d’achat ? 
Votre titre de chef de gouvernement aurait dû vous inciter à plus de réserve au lieu de traduire un profond dédain envers la constitution du pays qui malgré les innombrables tares qui le caractérisent, et en plus de l’art 19 prônant l’égalité des sexes, stipule dans l’article 31 que « L'Etat, les établissements publics et les collectivités territoriales œuvrent à la mobilisation de tous les moyens à disposition pour faciliter l'égal accès des citoyennes et des citoyens aux conditions leur permettant de jouir des droits… au travail et à l'appui des pouvoirs publics en matière de recherche d'emploi ou d'auto-emploi… ». Mesurez-vous la gravité de vos propos qui porte atteinte à la loi fondamentale du pays ? Les prochains scrutins vous hantent-ils au point d’opter pour un discours populiste qui ne trompera même plus le plus petit marchand ambulant dont la femme sort de bonne heure faire le ménage chez les autres afin de l’aider à subvenir aux besoins élémentaires de leur progéniture? 
Monsieur le chef du gouvernement
Votre discours est dangereux et lourd de conséquences. Dit de manière se voulant légère, il n’en est pas moins simpliste, risible, réducteur. Oui, nous sommes en droit d’avoir peur, de craindre le pire, votre idéologie bénéficie du silence d’une grande partie éclairée mais démissionnaire de nos concitoyens, du recul de l’espoir, de la perte de crédibilité d’une élite qui a failli à son rôle historique de la défense des valeurs modernistes, qui a cédé à l’usure du temps makhzénien, à une politique d’érosion de longue haleine et à un contexte international mitigé. Vous avez été élu au gouvernement grâce aux réformes résultant des protestations du mouvement de 20 Février. Pensez, plutôt à lutter contre la corruption et le despotisme que vous avez su intégrer à vos campagnes électorales, au lieu de chercher un bouc émissaire. Les propos de S. De Beauvoir sonne encore à nos oreilles : « Rien n'est jamais définitivement acquis. Il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez rester vigilantes », et votre discours fait, à juste titre, écho à ce qui se trame sous d’autres cieux contre les femmes..
Que nous soyons des femmes est porteur de lourdes significations culturelles, historiques et autres. Etre femme n’est pas innocent, n’est pas blanc, n’est pas dénué d’à-priori, de préjugés et de présupposés. Nous traînons cela, nous, femmes conscientes de notre condition, comme un boulet et nous évoluons grâce à notre prise de conscience, au nom de valeurs que nous avons rencontrées au hasard des lectures, des interrogations brûlantes et des ré-voltes. Nous militons contre les retombées de la charge culturelle avilissante de la féminité en grande partie pour le futur des enfants de ce pays, tous sexes confondus.
Vos propos sont dangereux parce qu’ils sous-tendent une vision qui restreint aux femmes l’accès à l’espace public, légitime l’accès à leur corps et les abus à leur égard dans un espace qui leur serait dérobé. 
Porté par votre penchant à provoquer la polémique, vous vous trahissez. La fine couche de modération laisse apparaître une identification et une adhérence totale aux thèses des mouvements intégristes qui exercent une violence physique et morale sur les femmes quand elles prétendent à leur droit à investir l’espace public. La démocratie, est-elle un levier, un prétexte, un tremplin pour asseoir à moyen ou à long terme un projet de société théocratique, a-démocratique, a-égalitaire ? Vos propos ne sauraient être interprétés autrement. Ils l’attestent, Monsieur le chef du gouvernement.

Najate NERCI
Professeur universitaire
Université Hassan II-Casablanca

https://www.facebook.com/najate.nerci

Najate NERCI

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